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tu as donné de toi ce qu’on t’a arraché, vieux pays lithuan, donné la gorge de tes habitants aux ours et l’hiver, autant qu’il fut long, tu n’as pas réussi à en mourir. donné, vieux pays, ta capitale, perdue au long d’étranges années, et donnée encore l’attente qui l’a vue revenir. perdue donnée, ta langue, enfouie aux écoles seulement clandestines des appartements. tu portes cette charge d’hésitation et de grandeur dans les yeux de tes habitants. somnambule, toi, ton regard est net mais ta tête ailleurs. comme un qui serait dans le monde sans croire à sa réalité. tu te réveilles et demain sera à toi.
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tes trolley n’ont pas d’âge, vilnius. archaïques ou flambants, roulent disparates sur le sol pavé morcelé par l’infatigable gel. percent réguliers la chape de froid qui force le rythme de ton rythme. sont ton cœur, vilnius, quand tout ici en toi sent l’hiver et l’abnégation forcée que la vie doit lui rendre. les gens voyagent en silence. ouvert là mon premier livre de l’un de tes poètes : aux premières pages sans cesse, la mort de la femme, rubans éternels, souvenir envahissant, jusqu’aux confins, de la grâce à jamais perdue et l’insondable mélancolie. à la morte. brumes. lassitude.
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il faut passer la porte, deux fois, vieux pays, toujours. au sas se décharger. tu rajoutes chez toi fenêtres sur fenêtres, faïences réfractaires, chaudières à gaz. tout est visible, accessible toujours. de bois ancien ou de béton soviétique, ne peut s’empêcher, ton architecture, de parler du long hiver. deux fois toujours, il faut passer la porte, la fille aux longues jambes, jupe épaisse, collants opaques et chaussettes de laine, emmitouflée, emmitouflé je la suis elle entre, se retourne parlant, une libération subtile. sourit. défait écharpe, bonnet. superpose aux écharpes et bonnets entassés. vêtements fourrés. sourit, la fille, à l’abri. reprend vie à la chaleur, au monde qui se réfugie. m’entraîne. heureuse d’être, comme les autres, contre l’hiver, entre les autres.
© Cabaud 2012