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dans la gueule de la mère ourse, un morceau de monde comme une viande rouge dont elle ne sait se défaire. des tempêtes couronnes, des refuges à orage, des forêts avalanches. du courage. dans sa gueule chaque matin, la météo du jour et les retournements d’un ciel à bascule. deux contrepoids, contre-mesures, jour de traque ou de repos, ses yeux regardent ailleurs, encore ailleurs. ou là. elle grogne et rumine. s’ébroue, sort, trace son sentier. hauteurs de monde, montagnes. invasions de ciels, de ruisseaux, de boue. du sédiment. beaucoup de beauté mélangée. et le reste. et le reste. pas le choix.
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dans la gueule de la mère ourse, un labyrinthe chaviré, des évacuations d’air, une tenue d’ouvrier. grottes à maçonner, plaques en verre à monter. chantier. protéger ses espaces des chutes de soleils mensongers. pluies d’aérolithes en feu, pylônes fumée, nuées ardentes. pour contrer, tout le jour elle s’active, dans son œil la distance, à la patte une truelle, dans le ventre un horla. dans le ventre un horla. pas le choix.
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dans la gueule de la mère ourse, la gueule d’un poète aux rêves infatigables — elle stoppe, pourtant, oui. elle s’arrête, quelques fois, oui. elle lève le museau dans les rayons rasants. plisse les yeux. frissonne à l’étrange instant planant dans la chaleur glissante, je l’ai vu. aube. crépuscule. elle change de regard, oui. surprise se relâche, oui. elle laisse. laisserait. presque, parmi ces ombres qui s’étirent, le temps s’étendre, mais… — mais dehors il pleut du feu et pas le choix, vivre, encore, c’est se protéger. oui. vivre, encore, c’est se protéger.
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in Demain de nuits de jours,
éditions Gros Textes, 2014