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Il y avait un corps et de la bruine
Mais il n’y avait pas de larmes
Le corps c’était le mien dans le lit au ras du sol
Le bruit des plantes résignées et pleurantes
Du petit jardin inconnu
M’avait réveillé doucement
Il n’y avait pas de brume
Mais j’en revois le jardin couvert aujourd’hui
Le ciel pleurait pour moi
Si j’avais eu envie de pleurer
Automne dehors automne dans le cœur
Mais non je n’avais pas envie
Peut-être juste un peu de fatigue
La campagne est belle pour cela
Il n’y a que de la pierre et de l’herbe
Elle sait forcer à vivre au rythme de son rythme
Il y avait la vie dans la maison
Qui venait de reprendre
Des gens
Et la frontière de la porte laissée ouvertement grande
La veille parce que je voulais faire semblant de dormir
Dans le jardin
En étant à l’abri
Me dire que si j’avais froid pendant la nuit
(Mais je n’ai jamais froid la nuit)
Et si peut-être on ne savait jamais
Il y avait un bel orage qui me réveillerait
De sa lumière et de son bruit inattendu
Mais il n’y en a pas eu et je n’ai eu froid qu’au matin
Il y avait la vie dans la maison
Qui venait de reprendre
Et je n’avais pas très envie de la partager
Parce que je n’avais rien d’agréable à dire
Et je n’étais pas bien réveillé
Et je n’aime pas que les choses aillent vite sous la pluie
Et j’aime en automne mourir avec la nature
Et j’avais des choses agréables à dire
Mais pas là pas maintenant
Et il fallait que je réfléchisse un peu avant
Pour ne pas dire de conneries
Mais surtout parce que je ne savais pas encore si ces choses
Je les dirais un jour ou si je les garderais pour moi
Alors je suis allé dehors
Dedans c’était le quotidien
Un lever tardif et cotonneux pour tout le monde
Avec peut-être chacun ses raisons
Et un souvenir commun de la veille
Mais aujourd’hui n’est plus la veille
Un petit déjeuner à faire et à prendre
Un quotidien que je peux commencer à apprécier
Mais pas là pas aujourd’hui pas envie
J’ai pris quand même un prétexte
Une cigarette dont je n’avais pas envie
C’est un peu con d’autant qu’en prenant ça pour une fuite
Je suis sorti quand il s’est trouvé que tout le monde
Avait quelque chose à faire à l’étage
Mais je me suis dit qu’avec un prétexte c’était mieux
Dehors c’était l’automne
Et j’y étais bien dans l’automne
C’était du froid qui protégeait comme de la chaleur
C’était tourner en rond parce que le jardin était minuscule
C’était choisir si je marchais un peu sur l’herbe
Juste un ou deux pas parce qu’il n’y avait pas la place de plus
Ou si je restais sur le gravier plus petit encore
C’était une goutte parmi les gouttes d’un fil d’étendage
Qui faisait loupe inversante quand je la regardais de très près
J’avais fini ma cigarette mais j’ai continué à me rapprocher
Sans pourtant réussir à me voir ni grossi ni tête en bas
Du coup j’en ai oublié de réfléchir
Mais ça n’était pas très grave parce que je savais bien
Que ce temps je le prendrais forcément plus tard
On ne décide pas de tout
Et c’est tant mieux
Je suis rentré sans trop de prétexte apparent
Parce que je ne voulais pas paraître trop asocial
Ni impoli à force de ne pas aider au quotidien partagé
Et pour savoir si quelqu’un par hasard n’avait pas
Quelque chose à me dire
On ne sait jamais
Un truc
N’importe quoi
Quelque chose qui égratigne avec douceur
Une écharde qui fait sourire parce qu’elle va occuper
Quelques heures à trouver comment faire pour se l’enlever
On m’a parlé mais ce n’étais pas ce que j’attendais
Je n’attendais rien de précis
Ça aurait été dur
Je ne me souvenais plus qui prenait du thé
Qui du café alors j’ai fait une petite blague pour faire passer ça
Et je ne sais plus si on a ri ni si la blague était bonne
Parce que l’on s’était assis et de la cuisine
En face de ma place
Je voyais encore le jardin et je me sentais encore là-bas
À moitié là-bas à moitié ici et à moitié avec l’envie d’y retourner
Je n’écoutais pas bien et je ne sais plus si l’on parlait beaucoup
J’avais le dos au mur et derrière le mur
Il y avait l’autre côté de la maison
Avec ses escaliers son village sa route
Et des gamins avec un chien blanc à taches noires
C’était un côté qui ne m’attirait pas trop
Mais je le sentais derrière mon dos
Je suis allé fumer une cigarette
De ce côté
La grande cour ne se différenciait pas vraiment
De la route et servait de parking
Il y avait six ou sept voitures posées un peu en vrac
Et je suis resté très collé contre le mur
En bas de l’escalier
Parce que je ne voulais pas avoir à traverser entre les voitures
Parce que je sentais quelque chose mourir en moi
Et que traverser en zigzag entre les portières qui se touchaient presque
Aurait accéléré cette mort
Et je savais que je ne pourrais rien y faire
Que les sensations ont une disparition
Tout aussi inéxorable que celle des hommes
Mais que si juste je pouvais gagner un peu de temps
Pour mieux la connaître
Pour la laisser mourir de sa belle mort
Découvrir peut-être son nom avant sa fin
Je suis rentré et tout était fini
Et chacun avait quelque chose à faire de différent
Ailleurs avec d’autres gens
Et chacun était déjà dans cet ailleurs
Tant mieux ça m’a facilité les choses
Nous sommes partis, à trois dans la voiture
Pour un court bout de chemin
Je n’ai pas parlé
Je n’avais pas envie
J’avais juste envie d’être tout seul
Pas possible pas grave
Je me suis emmuré dans les collines
Et dans le brouillard déchirant ses lambeaux aux arbres
Et j’ai regardé la route
in Les Mécaniques
éditions À Plus d’un Titre, 2008